纪念专题 | 斯蒂格勒的哲学和人生 4-5

纪念专题 | 斯蒂格勒的哲学和人生 4-5

图为贝尔纳·斯蒂格勒教授(1952.4.1-2020.8.6 )首次到访中国美术学院,于跨媒体艺术学院408教室举办讲座“感性的无产阶级化”

编者按

当地时间2020年8月6日,哲学家、中国美术学院客座教授、蓬皮杜文化艺术中心研究与创新学院院长贝尔纳·斯蒂格勒(Bernard Stiegler)在法国离世,享年68岁。我们对斯蒂格勒老师的突然离去感到难言的震惊与沉痛。

斯蒂格勒老师自2015年春天开始每年受邀来到中国美术学院,在跨媒体艺术学院春季高级研修班举办系列讲座,历年的讲座涵盖了他所关切的众多议题:“新技术、新媒体和新艺术”(2015年)、“人类纪里的艺术、差异与重复”(2016年)、“熵与劳作”(2017年)、“走向逆熵纪——社会雕塑、控制论与智慧城市”(2018年)、“技术与感知学”(2019年)。在过去几年,斯蒂格勒老师也经常受邀参加我院的众多学术活动,与我院师生结下深厚的友爱之情,被师生们亲切地称为“斯老师”。

纪念专题中,我们邀请了本院历届春季高研班中的部分学员,以写作、翻译等实践,让斯老师的问题、思考和关怀继续持存、不断生长,表达我们最诚挚的纪念。


斯蒂格勒的哲学和人生(1-3)

4、逆熵之路

受到约瑟夫 · 熊彼特(Joseph Schumpeter)、马克思、恩格斯,还有阿尔弗莱德 · 洛特卡(Alfred Lotka)、鲁道夫 · 克劳修斯(Rudolph Clausius)的启发,贝尔纳尔·斯蒂格勒(Bernard Stiegler)分析了他称之为药(pharmakon,或译药罐)的机制:

技术既是解药,也是毒药——作为熵(entropie)和创造性破坏(destruction créatrice)。

来源 | Isabelle Waternaux

瞥一眼斯蒂格勒的著作目录,可以看到这位哲学家倾尽一生构造的一堆新颖的词汇——

冲扰(disruption,或译扰乱)、获能(capacitation,来自阿马蒂亚 · 森所说的能力 capability)、体外化(exosomatisation)、心智化(noétisation)、逆熵纪(néguentropocène)、逆人类世(néguanthropocène)。

在他的思想体系中,用这些词才能表达崭新的观念,其中蕴藏了斯蒂格勒以全然不同的原则改造社会的深切愿望。

“对,我造了一大堆词。但孔狄亚克(Condillac)这么说过:一门科学首先是一种语言。
不管是哲学的发明、科学的发明,还是艺术的发明,总在于生产新词汇。这很正常。
正是因为任何人都可以搞哲学,哲学确实应该如此,而不应该使用形式语言(langages formels,指数学、逻辑和信息科学中,用精确的数学或机器可处理的公式定义的语言)。那是一个错误。”

为了这个目的,必须革新我们社会基于消费主义和资本主义的深层机制。

于是,冲扰和衰弱(décadence)的阶段,就可以作为过渡,来改进我们思考和行动的模式,从而进入一个后人类世(post anthropocène)的时代,走向合作、投资、本地和关心的时代——逆熵纪。

斯蒂格勒属于把技术和创新放在人类社会发展的核心的那些哲学家。

但发展不是进步的同义词,因为它太依赖于破坏式创新,而斯蒂格勒正是把技术、数字化和万维网这些解药-毒药称为药。

“我们处于一个巨大的知识的危机中。知识完全被冲扰、被社会中创新带来的破坏性的加速所超越。
谷歌的创始人是有哲学观点的,属于那些制造着多种技术性知识( savoirs technologiques)的形式的人——这些知识的形式尚未成型,所以极其危险。”

他在著作《什么是包扎地思想?》(Qu’appelle-t-on panser ?)中重提海德格尔的用语,阐述了这些行为有时候治疗(soigner,有关心、治疗等意思)着我们,有时候则毒害着我们。

那么,怎么在个人和集体的层面上学习治疗、即治疗自己,也互相治疗呢?

他从德里达和《柏拉图的药》(La pharmacie de Platon)里重拾的这些药,不只是来自时代的终结(fin des âges)的一些理论原则:

他还将这些原则应用、实施到了塞纳-圣-德尼省(Seine Saint-Denis)这样的城镇区域里进行的大规模实验中。

更为深刻的是,他的研究方法还建立在力学和热力学这些物理学科的基础上,将其原则紧密联系到社会现象上。

根据斯蒂格勒,这样从物理学科里挪用概念,其可行性是完全正当的、有生命力的、逻辑严密的。

他把萨迪 · 卡尔诺(Sadi Carnot)、克劳修斯和薛定谔(Erwin Schrödinger)的工作变为一块沃土,从中发展了自己的观念,并脚踏实地进行了实践。

在他的表达中居于核心的,是逆熵纪:

自然产生的熵(entropie naturelle)通过数字化(numérique)、万维网和大众消费,造成了冲扰,而逆熵纪就是对此展开的回应。

“我们艺术-工业协会(Ars Industrialis)认为要重新定义熵和逆熵(néguentropie)的问题。
要达到这个目的,就要重新定义技术的位置。
就像洛特卡说的,我们通过体外化,也就是我们的人工器官、人工制品(artifices)制造了熵。”

5、关心我们的欲望

贝尔纳尔 · 斯蒂格勒与艺术-工业协会(Ars Industrialis)、研究和创新机构(Institut de Recherche et d’Innovatio)一道进行着实验,试图以本地和协同的方式修补社会,就像在塞纳-圣-德尼省(Seine-Saint-Denis)的实验。

他比任何时候都更甚地,把关心、包扎(panser)社会和我们环境当作了自己的欲望。

作为艺术-工业协会和蓬皮杜中心的研究和创新机构的主席,他在数十年中推进着他基于逆熵(néguentropie)、协作和关心的社会改造的大项目。

他从哲学、经济、科学、技术和数字化中杂糅了一种形式,来进行大规模的实验,作为对理论的检验;

同时,也是为了发明新的社会运行的模式,把他的哲学推演到极致。

“在圣-德尼、圣-旺(Saint-Ouen)和欧贝维利耶(Aubervilliers),我们搞的实验激动人心。
所有一块工作的人都跟我们说,他们又有了希望。
创建这类实验性的领土(territoires laboratoires),和在共同的探索中培养的居民们一起实践这种贡献式经济(économie contributive),这是可以避免暴乱的。”

在这块土地上,他为着教育的目的应用了这套整体性的方法,聚集起了老师、父母、心理学家、艺术家、法学家,以及硬科学(sciences dures,即精确科学)和人文科学的研究人员。

但这不只是一个方法,还是一个范式,对于人们希望赋予社会的人际关系、道德的一种愿景。

于是,互助和跨学科研究作为载体拔地而起,为一个消除了消费主义的新的社会结构,奠定了健康的根基;

在这里,知识、技能和实践知识(savoir-faire)都是共同利益(bien commun)——一个向所有人开放的资源。

“我的工作没法不和数学家、生物学家、工程师、法学家等等一起。
不这样是不行的。
否则,我就会不知不觉地走向了诡辩术。而这并非注定如此。
我不是说必须得去专业化,而是得找到办法去合作。
但在法国,这很难,大家都局限于单门学科(mono-disciplinaire),这是有毒的。
我是受够了。”

的确,斯蒂格勒长袖善舞,而且不因为意识形态而遗漏任何资源,这就是为什么他还跟大工业公司一起工作,比如法国电信(Orange)、达能(Danone)、达索系统(Dassault Systèmes),还有法国存托(Caisse des Dépôts)这样的银行。

事实上,气候变化、资源枯竭、生物多样性锐减,已使这个系统难以维系,因而必须懂得和社会上所有的参与者对话、协作之道。

按照斯蒂格勒,他们都是对熵和逆熵的概念很有感触的社会参与者,而且准备来质疑这些概念。

这是一个综合性的任务,需要调和各学科,把哲学变成他的政治空间。

他对未来的设想,也汲取自他的家庭,还有他作为父亲和祖父所处的关系。

在他的著作《处于冲扰之中》(Dans la Disruption),他解释了出狱以来将近 40 年里,他身上的恐惧是从哪儿来的。

自那时起,这种感觉一直有增无减。

“我不是一个很好的祖父。
尽管对做祖父这门艺术,我想地越来越多。
记得有一天,我女儿,当时应该有 22 岁了,问我说:
为什么你老这么阴沉?
我就告诉她和她弟弟,出了狱,我觉得外面比被关起来要难得多。
我跟他们说,这世界不会好了。
我今天还是这么认为的。”


原文

BERNARD STIEGLER, LA PHILOSOPHIE ET LA VIE (5 ÉPISODES)

Épisode 4 : La voie néguentropique

S’inspirant de Joseph Schumpeter, Marx et Engels, ou encore Alfred Lotka et Rudolf Clausius, il analyse les mécanismes de ce qu’il nomme le pharmakon : la technique comme remède et comme poison, l’entropie et la destruction créatrice.

Portrait du philosophe Bernard Stiegler• Crédits : Isabelle Waternaux

Un seul regard à la bibliographie de Bernard Stiegler révèle nombre de termes nouveaux, innovants, que le philosophe a édifié au long de sa vie : disruption, exosomatisation, capacitation, noétisation, néguentropocène avec un e, néguanthropocène avec un a et un h. Dans son système de pensée, ces mots permettent d’exprimer des idées neuves, portées par la motivation profonde de Bernard Stiegler de refondre la société sur des principes radicalement différents.

Oui, j’ai créé un grand nombre de termes. Mais Condillac l’affirmait ; une science est avant tout une langue. L’invention, qu’elle soit philosophique, scientifique, ou artistique repose toujours sur la production d’un vocabulaire nouveau. Et c’est normal. Au nom du fait que la philosophie devrait être accessible à tous, et elle doit l’être, il ne faudrait pas qu’elle utilise des langages formels. C’est une erreur. Bernard Stiegler

Pour y parvenir, il faut rénover la mécanique profonde de nos sociétés, basées sur le consumérisme et la capitalisation. La phase de disruption, de décadence peut alors servir de transition pour améliorer nos modes de penser et d’agir, pour entrer vers une ère post anthropocène, tournée vers la coopération, l’investissement, le local et le soin, qu’il nomme le néguentropocène. Bernard Stiegler fait partie des philosophes pour qui la technique et l’innovation sont au cœur du développement des sociétés humaines. Mais développement n’est pas synonyme de progrès, car trop fondé sur l’innovation destructrice, et c’est sous le terme de pharmakon que Bernard Stiegler nomme ces remèdes-poisons que sont les technologies, le numérique et le web.

Nous sommes dans une immense crise du savoir. Le savoir complètement dépassé par la disruption, par l’accélération destructrice des innovations dans la société. Le fondateur de Google, qui a une thèse en philosophie, fait partie de ces gens qui produisent des formes de savoirs technologiques extrêmement dangereuses parce qu’inachevées. Bernard Stiegler

Reprenant la formule de Heidegger, il montre dans son ouvrage Qu’appelle-t-on panser ? que nous sommes tantôt soignés, tantôt intoxiqués par ces pratiques. Alors, comment apprendre au niveau individuel et collectif à soigner, se soigner, nous soigner ? Ces pharmaka, qu’il reprend de Derrida et de La pharmacie de Platon, ne sont pas juste des principes théoriques issus de la fin des âges : il les applique et les met en oeuvre à travers de grandes expérimentations en territoire urbain comme en Seine Saint-Denis.

Plus profondément, sa méthodologie s’appuie également sur les disciplines de la physique, de la mécanique, de la thermodynamique, pour en tirer des principes qu’il plaque sur des phénomènes sociaux. La viabilité de telles transpositions conceptuelles par-delà les disciplines est tout à fait raisonnable, féconde et rigoureuse, selon le philosophe, qui prélève dans les travaux de Sadi Carnot, Rudolph Clausius ou Erwin Schrödinger un terreau fertile pour développer ses idéaux et mettre en oeuvre ces actions sur le terrain. Au cœur de sa démarche : la néguentropie, en déployer en réaction à l’entropie naturelle qui entraîne la disruption, à travers le numérique, le web, la consommation de masse.

Avec Ars Industrialis, nous soutenons qu’il faut redéfinir les questions d’entropie et de néguentropie. Et pour cela, il faut redéfinir la place de la technique. Comme le disait Alfred Lotka, nous produisons de l’entropie par l’exosomatisation, autrement dit, par nos organes artificiels, des artifices. Bernard Stiegler

Épisode 5 : Prendre soin de nos désirs

Avec Ars Industrialis, l’Institut de Recherche et d’Innovation, les expérimentations de Bernard Stiegler tentent de restaurer la société de manière locale et collaborative, comme en Seine-Saint-Denis. Plus que jamais, son désir est de prendre soin, de panser la société, notre environnement.

Portrait du philosophe Bernard Stiegler• Crédits : Eric Fougere/VIP Images/Corbis – Getty

A la tête d’Ars Industrialis et de l’Institut de Recherche et d’Innovation du centre Georges Pompidou, il poursuit depuis plusieurs décennies son grand projet de transformation sociétale fondée sur la néguentropie, la collaboration et le soin. De son formalisme mosaïque puisé de la philosophie, de l’économie, des sciences, des technologies et du numérique, il entreprend des expériences grandeur nature pour tester la théorie. Et inventer des nouveaux modes de fonctionnement sociaux, tirer sa philosophie à l’extrême.

A Saint-Denis, à Saint-Ouen, Aubervilliers, ce qu’on expérimente est passionnant. Tous les gens avec qui on bosse nous disent qu’ils ont repris de l’espoir. Faire ce genre de “territoires laboratoires”, mettre en oeuvre cette économie contributive avec les habitants qu’on forme à faire de la recherche, permet en fait d’éviter la rébellion. Bernard Stiegler

Sur le terrain, il applique cette méthode holistique pour l’éducation, en s’entourant de professeurs, parents, psychologues, artistes, juristes, chercheurs en sciences dures et humaines. Mais c’est bien plus qu’une méthode, c’est un paradigme, une vision des relations entre les hommes et de la morale qu’on souhaite se doter pour la société. Alors, la mutualisation et la transdisciplinarité jaillissent comme vecteurs pour jeter des bases saines à un nouvel édifice social, délestées du consumérisme, où les connaissances, les compétences et les savoir-faire sont un bien commun, une ressource accessible à tous. 

Moi je ne peux pas travailler sans mathématicien, biologiste, ingénieur, juriste, etc. Je ne peux faire autrement. Sinon je vais vers la sophistique, sans le vouloir. Mais ce n’est pas une fatalité. Je ne dis pas qu’il faut se dé-spécialiser, mais trouver des moyens de coopérer. Mais en France c’est très difficile, c’est très mono-disciplinaire, et c’est toxique. Moi j’étouffe. Bernard Stiegler

Bernard Stiegler sait bien s’entourer, oui, et n’occulte aucune ressource par idéologie, c’est pourquoi il travaille aussi avec des grands industriels comme Orange, Danone, Dassault Systèmes ou des banques comme la Caisse des Dépôts. De fait, avec le changement climatique, l’épuisement des ressources, l’érosion de la biodiversité, le système n’est plus solvable, et il faut savoir dialoguer et coopérer avec tous les acteurs de la société. Selon Bernard Stiegler, ce sont des acteurs sensibles au concept d’entropie et de néguentropie, et surtout prêts à la remise en cause. C’est une mission synthétique, de réconciliation des disciplines, et de rendre à la philosophie son terrain politique.

C’est aussi dans sa famille, dans sa relation de père et de grand-père qu’il puise des ressources pour se projeter dans l’avenir. Dans son ouvrage la Dans la Disruption, il explique d’où proviennent ses angoisses, qu’il porte en lui depuis sa sortie de prison il y a près de quarante ans. Des sentiments qui ne cessent de s’accroître depuis.

Je ne suis pas un très bon grand-père. Même si je réfléchis de plus en plus à cet art d’être grand-père. J’ai le souvenir d’un jour où ma fille, qui devait avoir 22 ans, me demande “Mais pourquoi es-tu toujours si sombre ?”. Et donc je lui ai raconté , à elle et son petit frère, qu’après la prison, j’avais réalisé que la sortie était en réalité beaucoup plus dure que l’incarcération. Je leur ai dit le monde allait empirer. Et c’est ce que je crois encore aujourd’hui. Bernard Stiegler

Remerciements à l’association Ars Industrialis et à Benoît Robin, membre de Ars Industrialis.